LECTURE DE L'INSTANT UNIQUE. Gérard Pfister. Blasons du corps limpide . Editions Arfuyen.
C'est l'instant de vivre. C'est notre instant unique. Si nous n'y trouvons pas la vie, ou la chercherons-nous? Si nous n'y trouvons pas ce que qu'est la vie, où pouvons-nous espérer de vivre jamais? La vie est ici : la vraie vie, l'unique. La vie est en cet instant: sa respiration, sa matière, sa lumière. Si nous n'y faisons pas notre demeure, ou vivrons-nous? Et quand? Il n'y aura pas d'autre instant . Cet instant est le seul. Perpétuellement changeant, fluant. Le mouvement même. Fugitif, disons-nous. Mais c'est nous qui le fuyons. C'est nous qui ne savons pas y demeurer. Le mouvement est éternel et, pour qui y demeure, comme immobile. La vie est incessant passage. Et, pour qui l'habite, comme immortelle. C'est l'instant de vivre. Nous en sentons l'urgence, l'imminence. Nous en sentons la terrible impatience. Vraiment, nous ne désirons rien de plus. Nous n'avons d'autre espérance. Et, c'est étrange, nous le fuyons. Comme si notre désir était trop fort, comme si nous avions peur de le réaliser. Comme si quelque chose en nous renonçait, reculer. Comme si la tension en nous était insoutenable, et nous sommes pris d'un incompréhensible réflexe de fuite. Une sorte de panique. C'est l'instant de vivre: nous sommes sur le seuil, nous sentons en nous se faire la naissance, nous sentons sur nos lèvres comme un goût d'éternité. Et nous avons peur, nous nous détournons, nous fuyons à toutes jambes. Où? Nous ne savons. Peu importe , nous fuyons. Et notre existence n'est que cette fuite éperdue, l'essai d'oublier. Nous avons choisi presque inconsciemment le parti d'échapper à la vie. Nous avons préféré épouser la cause de la mort. Pourquoi? Quand? Nous ne nous en souvenons plus. Nous avons choisi le parti de l'inconscience. Comme si la lumière trop vive de l'instant nous était insupportable. Nous avons renoncé à notre amour. Nous avons trahi sa présence. Il est ICI , il nous cherche, et nous ne voulons pas le voir. Nous l'aimons encore, et le fuyons sans cesse. Pourquoi? Il nous suffirait de sentir son souffle, d'écouter sa voix, de contempler sa beauté. Il nous suffirait de laisser sa vie entrer dans notre existence. Il suffirait que nous acceptions son amour, que nous répondions à son amour sans peur, sans honte. C'est l'instant unique. Il suffirait que nous vivions de sa vie pour qu'à jamais elle soit notre demeure.
Gérard Pfister.