Il n'y a pas d'autre révolution possible que d'essayer de s'améliorer soi-même.
Il n'y a pas d'autre révolution possible que d'essayer de s'améliorer soi-même.
Monsieur Sapiro. Benny Barbash.ed. Zulma, 352 p. 22 E.
Depuis Blaise Pascal, on sait que “ un roi sans divertissement est un homme plein de misères” et que l’ennui, cette impression de vide, cette lassitude morale qui fait que l’on n’a goût à rien est le pire des sentiments qui guette l’homme ordinaire. A cela, un seul remède : le divertissement. C’est le cas de Mike, le héros que met en scène Benny Barbash, mais Mike n’est pas le Capitaine Langlois du roman de jean Giono et ce n’est pas par les mêmes méthodes qu’il va essayer de retrouver la jouissance. Il est publicitaire, donc un homme d’imagination… Ressassant, dans un bar d’hôtel, la morosité et la banalité de son existence, sa vie bascule, alors que la serveuse, accorte et dotée de quelques appâts qui ne le laissent pas indifférent, s’avance, annonçant que Monsieur Sapiro est demandé au téléphone. Dans les quelques minutes où toute l’action du roman se concentre, Mike invente la vie rêvée, fantasmée de Monsieur Sapiro, faussaire en peinture …. Avec ce prétexte romanesque d’une usurpation d’identité, qu’Amélie Nothomb a, par exemple, utilisé dans Le fait du prince, il y a de quoi faire de la littérature …ou pas. Benny Barbash, l’une des figures les plus importantes des lettres contemporaines israéliennes se sert de ce prétexte pour nous offrir une fable drôle, loufoque, ironique, cynique même. Mike n’est pas sans rappeler le Monsieur Dutilleul du Passe-muraille de Marcel Aymé. Un Marcel Aymé, désenchanté, pas dupe des faiblesses humaines, maniant l’ironie, mâtiné de l’humour dévastateur de Woody Allen. Et c’est avec la même jubilation que celle qu’il a dû avoir à l écrire que nous basculons, en le lisant, dans cette vie rêvée de Mike. Cette mise en abîme d’un personnage usurpant l’identité d’un faussaire se prenant lui-même pour un autre plonge le lecteur dans un questionnement sans fin sur ce qui fonde l’identité d’un individu, identité mouvante et plurielle, sur ce désir, commun à tous les hommes , de s’inventer une autre vie , ailleurs et autrement . Le décor est ici celui de la société israélienne contemporaine, la situation, celle d’un quadragénaire dont l’aventure amoureuse avec sa femme arrive à sa fin , mais cela importe , finalement, guère , hormis qu’elle permet à l’auteur quelques digressions sur le désir , le plaisir, le sexe qui sont savoureuses . C’est avec virtuosité, une légèreté de plume déconcertante que Benny Barbasch tend au lecteur ce même miroir dans lequel Mike se regarde : « il est surpris de voir son reflet siroter du café dans la même tasse que lui, en faisant les mêmes mouvements. Derrière lui, dans le miroir, il aperçoit la serveuse qui passe entre les fauteuils, en portant un tableau magnétique, annonçant en grandes lettres dorées MONSIEUR SAPIRO ». Vous l’avez compris, le roman que Benny Barbash est un miroir dans lequel il nous invite à nous regarder, car nous sommes tous des Mike. Nous inventons nos vies jusqu’à ce que nos inventions se mêlent au réel. Cela s’appelle la littérature.
AJL
Magazine littéraire . Février 2012
« Résister. Editer. Ecrire » est le sous-titre de l’ouvrage écrit par Bruno Doucey en hommage à Pierre Seghers. Ce pourrait être la devise de la maison d’édition qu’il a créée en mai 2010 et le manifeste de celle-ci. Depuis, ce sont dix-neuf recueils qui ont déjà jalonnés cette aventure éditoriale. Bruno Doucey veut promouvoir une poésie « vivante et généreuse, ouvrant les horizons, ouverte et offerte à tous ». De James Noel (Haïti) jusqu’à Moncef Ouhaibi (Tunisie) et Corinne Hoex (France) en passant par Maram al-Masri (Syrie) et David Rosemann-Taub (Chili), Bruno Doucey montre, en cinq collections, les couleurs bigarrées de la poésie contemporaine, en faisant, par ailleurs , la part belle à la poésie féminine. Une poésie métissée, rendant compte des bruissements du monde, ouverte sur l’actualité et l’universel, c’est bien là le programme d’une poésie engagée, de combat, fidèle à l’esprit de résistance de Pierre Seghers. A travers la diversité de ses auteurs, venus de tous les horizons et repoussant sans trêve les frontières de la langue, la politique éditoriale de Bruno Douvey vise à faire valoir l’unicité de l’humanité et à bâtir un nouvel art de vivre ensemble. La naissance de cette maison est l’une des preuves de la vitalité enthousiaste de l’édition poétique actuelle en France. Pierre Seghers disait : «Si la poésie ne vous aide pas à vivre, faîtes autre chose » ; Bruno Doucey, suivant ses traces, a choisi, en nous faisant découvrir, sans exclusive, les diverses facettes d’une « poésie essentielle à l’homme autant que les battements de son cœur . »
AJL
Magazine Littéraire .Février 2012
Derniers ouvrages publiés : Corinne Hoex. Rouge au bord du fleuve. 64p. 6, 10 E . Moncef Ouhaibi. Que toute chose se taise. 64p. 6, 10 E.
Le nom de Jean-Pierre Siméon est tellement associé au « Printemps des poètes » qu’il incarne, il voyage tellement aux quatre coins de la France et du monde , dans les écoles, les bibliothèques, les théâtres, les festivals, pour promouvoir la poésie que l’on en viendrait parfois à oublier que derrière l’homme social et sociable , le passeur inlassable , le militant de la poésie sous toutes ses formes, se dissimule un homme qui trouve le temps d’en consacrer encore à cet exercice solitaire qu’est l’écriture poétique. Pourtant, depuis 1978 et son premier recueil, Traquer la louve, jusqu’au Traité des sentiments contraires en 2011, c’est bien une oeuvre que construit, recueil après recueil , le poète Siméon. Revendiquant l’influence de Paul Eluard, la poésie de Jean-Pierre Siméon est exigeante, non pas parce qu’elle serait hermétique, mais parce qu’elle ne se laisse aller à aucune facilité. Préférant le maniement des mots aux maniements des idées, frappant par la force de ses métaphores et par la musicalité rythmée de ses vers, Jean-Pierre Siméon laisse à ses poèmes leur part de mystère, ouvrant ainsi le sens et permettant au lecteur de multiples interprétations. Inspiré par la musique de Schubert, le Traité des sentiments contraires est une œuvre de la maîtrise et de la maturité. Ouvert à toutes les formes et à tous les étonnements Jean-Pierre Siméon en appelle à la joie en ses termes : « oh, laissons-là venir compagne jaillissant d’un buisson inconnu ». La nôtre est de le redécouvrir à chaque lecture.
AJL
Magazine Littéraire . Février 2012
Dernier ouvrage paru : Traité des sentiments contraires. ed Cheyne.80 p.15 E
Les âmes aux pieds nus. Bilingue .Ed. Le temps des cerises. 15 E
Par la fontaine de ma bouche . Bilingue Ed Bruno Doucey. 12 E
Une voix, nue, humaine, libre et souveraine s’est levée : une voix de femme . Cette voix, c’est celle de Maram al-Masri, poète née en Syrie à Lattaquié en 1962, exilée à Paris depuis 1982. Mais ce n’est pas de cet exil-là dont parle Masram al-Masri, pas non plus des femmes d’un Orient fantasmé. Elle rend la parole à des dizaines de femmes de tout âge et de toutes conditions à qui on l’a confisquée, exilées dans leur propre vie car victimes de la violence qui leur est faite par de trop nombreux bourreaux domestiques . Ce pourrait être un cri de révolte ou une longue plainte, la poète pourrait user d’effets poétiques et lyriques , d’emphase et de grandiloquence , c’est tout l’inverse. Le vers est bref, clair, sobre pour dire l’émotion contenue, la langue est celle d’un quotidien économe de mots et c’est, justement, de cette économie et de cette pudeur retenue que naîssent la justesse des images et la puissance du poème. Ces intimes blessures béantes, Maram al- Masri les recouvre avec délicatesse d’un voile de tendresse et les soigne d’une caresse d’amour , car , même dans le manque et la douleur , c’est bien l’amour que dit Maram al-Masri.
C’est encore une femme que chante la poète dans « Par la fontaine de ma bouche », une femme aimée d’un amour charnel. Il n’est question ici que de corps à corps, de caresses, de passion et d’émotion , d’érotisme enfin. Ce sont les chants d’amour du Cantique des cantiques glorifiant le ventre, les seins, le sexe, exaltant le désir, le plaisir et la jouissance. Maram al-Masri nous parlerait-elle des amours sapphiques et de la fontaine de sa bouche, seraient-ce les mots de Lesbos qui couleraient ? Oui, à condition d’entendre que c’est avec La Poésie que Maram al-Masri fait l’amour. Oui, si l’on comprend qu’elle se donne tout entière à la poésie en même temps que la poésie s’incarne en elle et par elle, dans une relation égalitaire. Sappho, oui, plutôt qu’Ishtar ou Shéhérazade auxquelles elle se réfère pourtant ou plus exactement, une Louise Labé de la modernité, renouant avec le lyrisme incandescent de la poétesse de l’antiquité et comme elles deux, nous rappelant que la poésie est féminine .
AJL .Magazine littéraire . Juillet 2011
-Les âmes aux pieds nus .
Je les ai vues
toutes passer dans la rue
âmes aux pieds nus,
regardant derrière elles,
inquiètes d’être suivies
par les pieds de la tempête,
voleuses de lune
elles traversent, déguisées en femmes normales.
Personne ne peut les reconnaître
Sauf celles
Qui leur ressemblent.
Encadré 2- Par la fontaine de ma bouche
Et comme si
une voix étouffée me parvenait
vers laquelle mon oreille se tend
comme si quelqu’un pénétrait mes entrailles
elle lui prête l’oreille
et de temps à autre capte l’onde
d’un signal
elle l’habille d’un corps
qui devient voix
René-Guy Cadou. Comme un oiseau dans la tête. Préface inédite de Philippe Delerm . Isbn : 978-2-7578-2471-9. Ed Points
« Rien ne subsistera de moi dans votre histoire » écrivait Cadou. Pourtant, soixante après sa mort, la poésie de Cadou n’a jamais été aussi présente. En témoigne la parution de l’anthologie Comme un oiseau dans la tête, regroupant deux cent quinze poèmes sélectionnés par Jean-François Jacques et Alain Germain. L’occasion est ainsi donnée de redécouvrir l’étendue de l’œuvre de Cadou et de mettre fin à un malentendu. Celui-ci est, en effet, devenu un poète de l’école et de l’enfance. Certes, Cadou l’écrivait lui-même : « Il y a quelque chose qui fait que l’on a trop tôt quitté l’enfance et que l’on recherche tout au long de sa vie ». La nostalgie de l’école et l’enfance tiennent, certes, une place importante dans son œuvre ( La vieille classe de mon père,/ Pleine de guêpes écrasées,/ Sentait l’encre, le bois, la craie/Et ces merveilleuses poussières/ Amassées par tout un été)à coté de son amour proclamé pour Hélène. ; mais il s’agit surtout pour lui de retrouver ce premier regard que l’enfant porte sur le monde et le cosmos, les êtres et les choses, fait de questionnement et d’émerveillement. Dans sa langue lyrique sensible et sensuelle, Cadou poursuit d’abord une quête du sacré et de la plénitude de vie, cherche surtout à montrer les liens qui unissent le visible et l’invisible ,la vie et la mort, le règne végétal et animal et les humains entre eux, le sens d’une vie vécue « à pleins poumons ».
AJL .
Magazine littéraire.
Janvier 2012
Ce n'est pas la violence mais le bien qui supprime le mal.
Un enfant porta mon nom mon prénom
nous avions tous deux figures parentes
j'ai preuve qu'il est parole vivante
parfois je l'appelle et nul ne répond
Est-il mort ou vif? j'ai là des photos
je sais qu'il était da santé fragile
où est-il perdu? dans quelle outre-ville?
il a laissé là vestes et manteaux .
Les murs de sa chambre aux ramages verts
sa table en bois clair son lit bleu marine
et ses draps si doux couleur de farine
où sont-ils partis, dans quels univers
Il souffrait parfois d'étranges tourments
dix ans yeux châtains et bouche petite
plutôt blanc de teint sujet aux bronchites
tel est à peu près son signalement
Si vous le voyez un jour revenir
parlez-lui de moi avec indulgence
et puis laissez-le errer en silence
parmi les décombres et les souvenirs.
Tout chemin aboutit au même point: la désillusion
Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n'aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L'eau luisante et la terre où le vie a germé.
La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains
Je me suis appuyér à la beauté du monde
Et j'ai tenu l'odeur des saisons dans mes mains.
J'ai porté vos soleils ainsi qu'une couronne
Sur mon front plein d'orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l'automne
Et j'ai pleuré d'amour aux bras de vos étés.
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d'animal.
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon coeur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.
Soumise ainsi que l'onde où l'arbre se reflète
J'ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au coeur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.