Rien de plus charmant que ces Contes de Pourrat. Rien de plus utile que leur"somme". Il en est au cinquième volume. C'est comme une assiette peinte d'un coq. Bleu, jaune et rouge. On la met sur le dressoir à coté des quatre autres. Ca brille dans l'ombre et on se sent plus en train.
Cette fois-ci ce sont des contes de voleurs: des " mange-maison", des " cherche-fête", en un mot des " avale-royaume": tel est leur état officiel, ils en vivent honnêtement, ce qui les " empêche de mal faire". Ils sortent de ce temps des " grandes moeurs" qui font partie de la Légende des siècles et de la mythologie de Pourrat , une époque où la terre était encore humide des vapeurs de la Création, où le pouce de Dieu marquait encore l'argile. Il y avait des saints et des rois: de toute sorte; avec des barbes et des couronnes; il y avait par exemple un roi qui était cordonnier, dit Pourrat , à Saint(Amant-Roche-Savine, des ogresses roses, des souverains qui pariaient avec les voleurs, des pèlerins avec des bourdons. Ce n'étaient que géants, monarques et princesses. Il y avait un trou dans la terre où on vous descendait à cheval sur un bâton avec une corde de cloche, et au bout c'était l'autre monde: un château d'or, un château d'argent, un château d'étain; les seigneurs en étaient des lions; quand on les avait tués en combat singulier un aigle vous remontait sur terre .
Tant de commodité et d'aristocratie, de zoologie et même de tératologie séduiraient les plus difficiles .D'autant plus qu'elles ont pour morale celle de la " grande mulgédie" . La grande mulgédie , dit Pourrat, vient des Alpes; " elle fleurit en fleurs d'un bleu cendré, le bleu de la chicorée sauvage" ; le vent disperse son pollen ; elle pousse partout; ainsi que ses contes.
Ils auront dû pourtant soulever quelque chicane , à laquelle Pourrat répond dans cette préface qu'il a placée à la fin du volume pour qu'on la lise après, comme on fait des préfaces : sont-ils réellement " populaires" ?Voici l'objection des savants. J'avoue que quand j'étais enfant et que je suçais un bonbon , je ne songeais pas à me demander si c'était dragée ou praline: le nom de ce qui est bon importe peu mais les esprits profonds veulent savoir ces choses. Et d'où ces contes sont venus. Il leur faut une date, un nom, une étiquette.
Comment ces récits en auraient-ils puisqu'ils sont populaires? Le propre d'un conte populaire est d'être une création collective ; tout le monde y a mis la main! L'un sème la graine, un autre l'arrose, un autre l'oublie, un autre repique le plant; l'un greffe et l'autre émonde; un conte a mille auteurs; il fait le tour de la France, de l'Europe, il fait parfois le tour du monde. Le pied l'écrase, il disparaît un temps, on le voit repousser plus loin; il s'est marcotté comme la fraise .
Que voudrait-on? qu'ils eussent des accents différents? que l'un sonnât plus gascon, l'autre plus alsacien et le troisième plus breton? Que reproche-t-on à Pourrat? D'imiter tout accent local avec le même accent rustique , comme le comique normand qui suffit à Paris pour satisfaire tous les besoins du folklore? Mais , d'abord, il suffit vraiment: on ne lui demande qu'un dépaysement, une illusion: elle est complète pour qui n'a pas trop voyagé. Et pour qui a trop voyagé? Trop, c'est trop, lui répondrons-nous; il n'avait qu'à se modérer. Et puis une oeuvre d'art exige un ton local . S'il n'y a pas un certain fondu, nous tombons dans la bigarrure. Et c'est un goût sauvage, assurent les bons esprits.
Que lui reproche-t-on? De trop intervenir? Mais il n'emploie que des matériaux sûrs, ceux des proverbes, des chansons, des conversations paysannes! Et quand bien même! " Pourquoi, dit-il, n'oserais-je pas demander à être regardé moi-même comme un conteur populaire ? C'est probablement ce que signifie mon nom". Là je ne sais si Pourrat se défend bien. . Pourquoi n'oserait-il pas demander ? Je vais te le dire, cher Henri: c'est que quand tu parles " populaire", tu t'entends parler" populaire", et le conteur original, lui, ne s'entend pas. Mais, si tu ne t'entendais pas, tu n'aurais pas les qualités requises pour faire un recueil de ces contes, ce qui est besogne de rewriting. Il n'y a donc rien à regretter. Tu fais ce qu'ont fait Montaigne et surtout La Fontaine en choisissant les matériaux de leur langage. Tu fais surtout ce qu'a fait Grimm, il n''y a pas à en avoir honte!
A quoi bon t'efforcer de te prouver rustique? D'abord tes arguments ne vont pas; prouver qu'on n'est pas citadin, n'est pas prouver qu'on est rustique( et tous les contes ne sont pas paysans, beaucoup sont passés par la ville!) On n'est pas une fraise des bois parce qu(on n'est pas une fraise de serre. Il y a aussi des fraises de jardin.
Ces contes sont nés de la nature, comme l'églantine, et non de l'horticulture. Pourrat les plante dans son terrain et les cultive.Peut-on dire que ce sont des roses ou garde-t-on le droit de dire avec Pourrat que, cultivée, l'églantine reste églantine? Je laisse la question aux botanistes, aux jardiniers. Pourrat trahit moins le génie populaire que ne le ferait un travail " scientifique". Un travail " scientifique" laisserait au modèle son caractère mort de fragment, d'authentique brimborion de musée.
Importe-t-elle? Je ne le pense pas. Car ce qui est profondément vrai c'est que Pourrat trahit moins le génie populaire que ne le ferait un travail " scientifique" . Un travail " scientifique" laisserait au modèle son caraxtère mort de fragment, d'authentique brimborion de musée. Or le génie populaire , c'est le contraire, c'est la vie! L'authentique tesson d'une bouteille a bien moins le droit de s'appeler bouteille que cette bouteille reconstituée de telle façon qu'elle sert à boire. Nous y boirons .
Et d'ailleurs Pourrat, c'est Pourrat. Rien de plus limpide. Encore un verre.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand .
Alexandre Vialatte
Chroniques de la Montagne
Editions Omnibus . Page 252, 253 .