Je vous appelle, beaux copains de l'amertume,
Qui trainez sur le port des corps émerveillés,
Et vous, ma reine, brune amie des grands voiliers
Qui vous parlent d'amour dans les longs crépuscules.
Audisio, africain, et jeanne près de toi,
Chère fraternité méditerranéenne,
Sur la terrasse, où tous nos soleils se rejoignent,
Nous nous retrouverons une dernière fois,
Venez. L'éternité monte dans le silence
Et l'ombre qui nous prend épuise sa douceur
Ah! ne sentez-vous pas, vivantes, les présences
D'innombrables absents qui nous touchent le coeur?
Les vergues arrêtées dans la nuit maritime
Où les étoiles sont la route de demain,
Emeuvent à la mort, sur la porte voisine,
Des femmes appuyées à d'inquiétants destins.
Et c'est ce moment-là que choisit pour sa plainte,
Lointain, sur l'autre rive, un accordéon nu
Qui ramasse l'amour de ces femmes atteintes
Et nous porte celui d'un ami inconnu.
La détresse muette et l'espoir se mélangent;
Un crime passionnel fleurit sur les pavés.
La barque sans fanal, portant le mauvais ange,
Accoste au coin du port, après minuit passé.
Il descend sur le quai et glisse sous les bâches;
Les navires ancrés tremblent de son désir;
Des feux intermittents s'allument et se cachent
Aux masques des maisons de nos anciens plaisirs.
Venez, c'est l'heure amère. Au dedans de nous-mêmes
Se lèvent sans un mot de déchirants aveux;
Venez, c'est l'heure seule et terrible où l'on aime
La bouche faible qui vous ferme les deux yeux.
Louis Brauquier