Jean-Luc Despax
Des raisons de chanter
Editions le Temps des cerises. 11 E
Dès les premières pages de ce recueil, Jean-Luc Despax s’interroge : « Se trouve-t-il dans ce pays, non seulement un poète, mais encore un homme/ Pour dénoncer avec pertinence ceux qui nous font croire au purgatoire/ Pour mieux protéger leurs paradis fiscaux ? ». On l’a compris, il y en a au moins un : Jean-Luc Despax et celui-ci est un poète « engagé ». Mais quelle poésie ne l’est pas ? On sait, au moins depuis Aragon en France, que la poésie politiquement engagée, peut produire, entre des poèmes de résistance et quelques odes à Staline le meilleur parfois et presque toujours le pire. Jean-Luc Despax le sait aussi, qui a écrit sur le poète Ossip Mandelstam, victime des purges staliniennes. Si ce dernier fustigeait avec véhémence Le montagnard du Kremlin, Jean- Luc Despax, lui, laisse monter sa colère « face au cynisme néolibéral, ce désir calculé par les nouvelles castes de faire accepter comme une amélioration ce qui est de l’ordre de la dégradation des vies ». Lutter contre les injustices avec des mots et ériger la poésie en dernier recours contre la marchandisation du monde, tel est le but qu’assigne Jean-Luc Despax à la sienne. Il le fait avec des vers libres, dans tous les sens de ce mot et des mots comme des coups de poing .En fait, ce recueil est un véritable ring où le poète livrerait un combat de boxe, tant ses mots ont la puissance d’un uppercut et nombre de ses vers laissent le lecteur KO. Si, de ce combat de rue, à mains nues et à mots crus, Despax sort vainqueur, la bien-pensance , politique autant que poétique , elle, en sort groggy . En soixante-dix poèmes bien frappés, de Réalisme et budget poissons à Les agios pétaradent en passant par Economie reprisal, ce sont tous les travers de notre société du spectacle et les errements de l’économie financiarisée qui sont cloués au pilori. Nous sommes aux antipodes d’une poésie de salon ou de Sorbonne, c’est d’une poésie « populaire » qu’il s’agit, faite pour être clamée au sortir d’un atelier d’usine. Cela fait des décennies qu’une telle voix poétique ne s’était élevée en France, une voix qui n’est pas sans rappeler la voix de Prévert du temps du groupe Octobre, quand le mot « populiste » n’était pas péjoratif et que celui d’ « ouvrier » n’était pas un gros mot. Poésie qui s’empare de la crise, du chomage, de la finance, de l’actualité et qui la commente comme aucun journaliste économique ou politique n’ose plus le faire, pour la faire revenir à l’une de ses sources : le peuple.
Nous lisons le journal, nous buvons un café
Il ne fait pas très chaud pour aller travailler
Dans la nuit de banlieue, le cœur ne se perd pas
Il pompe ce qu’il peut avec tout ce qu’il a
Nos associations d’idées ? Punies par la loi
Servant la société pour quelques cheveux blancs
Nous tentons d’oublier nos névroses dodues
Obligés de parler de parler de parler
Et si nos vers sont faux, treize, quatorze, douze
Même nos E muets ont quelque chose à dire ...
Magazine littéraire- Juillet-Aout 2912