Derrière les arbres est un autre monde,
le fleuve me porte les plaintes,
le fleuve me porte les rêves,le fleuve se tait,
quand le soir dans les forêts
je rêve du Nord ...
Derrière les arbres est un autre monde,
que mon père a échangé contre deux oiseaux,
que ma mère nous a rapporté dans un panier,
que mon frère perdit dans le sommeil,
il avait sept ans et était fatigué...
Derrière les arbres est un autre monde,
une herbe qui a le goût du deuil, un soleil noir,
une lune des morts,
un rossignol, qui ne cesse de geindre
sur le pain et levin
et le lait en grandes cruches
dans la nuit des prisonniers.
Derrière les arbres est un autre monde,
ils descendent les longs sillons
vers les villages, vers les forêts des millénaires,
demain ils s'inquiètent de moi,
de la musique de mes fêlures,
quand le blé pourrit, quand rien d'hier ne restera
de leurs chambres, sacristies et salles d'attente
Je veux les quitter. Avec aucun
je ne veux plus parler,
ils m'ont trahi, le champ le sait,
le soleil me défendra, je sais, je suis venu trop tard ...
Derrière les arbres est un autre monde,
là-bas est une autre kermesse,
dans le chaudron des paysans nagent les morts et autour des étangs
fond doucement le lard des squelettes rouges,
là-bas nulle âme ne rêve plus de la roue du moulin,
et le vent ne comprend
que le vent...
Derrière les arbres est un autre monde,
le pays de la pourriture,
le pays des marchands,
un paysage de tombes, laisse-le derrière toi
tu anéantiras, tu dormiras cruellement
tu boiras et tu dormiras
du matin au soir et du soir au matin
et plus rien tu ne comprendras, ni le fleuve ni le deuil ;
car derrière les arbres
demain,
et derrière les collines,
demain,
est un autre monde.
Sur la terre comme en enfer. Editions de La Différence. 2012