J'ai vingt-deux ans et j'ai très peur de mourir
Dans la boue mêlée du sang des bêtes et des hommes
Leurs yeux vitreux luisent comme ceux des moutons
Dans le grand troupeau de cette folle boucherie
Sous le brasillement d'étoiles qui remplit le ciel
Ils sont des milliers qui roulent comme un ruisseau
Derrière le bélier dans la verte fraîcheur moussue
Chant éternel et vivant de la terre au cosmos
Le temps est figé dans l'attente et l'angoisse
Le monde est rétréci à cinq mètres de soi
Au-delà le pays mystérieux d'où vient la mort
L'aube se lève toujours sur des ruines horrifiées
Au pays on allait au verger faire la sieste dans le foin
Je la revois toute chaude avec ses mains à caresses
Qui passait ses doigts dans l'épaisseur de mes cheveux
Et j'ai cette grande faim dont elle est le pain
Je veille dans la plaie d'un éclatement de mines
Avec des cadavres entassés comme parapet
Une mitrailleuse rythme ma sourde inquiétude
J'entends l'agonie lente d'un blessé entre les lignes
Mon amour il faut que je te dise ce que j'ai fait
J'ai levé haut ma main à dix mètres et il a tiré
Comme le renard se ronge pour briser le piège
Il me reste une main douce pour te caresser .
Extrait de Sous l'étoile de Giono
Editions Alain Gorius-Al manar
disponible sur www.editmanar.com